Chapitre 3 Symptômes d’une recherche non reproductible
Il existe de nombreuses situations où l’on souhaite reproduire des résultats de recherche :
- on peut vouloir vérifier que la méthode mise en œuvre il y a quelques mois par un stagiaire, par un doctorant, ou par soi-même, donne les mêmes résultats avant de poursuivre l’étude ;
- on doit obéir (hé oui, c’est bien la dure vie de chercheur) aux demandes d’un relecteur de modifier une figure ou de tester l’impact de paramètres non envisagés dans l’étude initiale ;
- on souhaite vérifier que les méthodes “maison” font aussi bien, voire mieux, que celles des équipes concurrentes.
Nous sommes persuadés que vous avez d’autres situations en tête. Le point commun de toutes ces situations est qu’elles peuvent être l’occasion de surprises (très) désagréables que nous appellerons les “symptômes d’une recherche non reproductible”. En complément des personas, nous vous livrons ci-dessous quelques témoignages, certes fictifs mais non moins vraisemblables, qui illustrent les dits symptômes.
3.1 J’ai perdu mes données ou mon code de programmation !
Après la publication d’un des mes articles, un collègue souhaite collaborer avec moi pour tester de nouvelles hypothèses sur le jeu de données que j’ai présenté. Malheureusement :
- le disque dur sur lequel j’archivais les données brutes a crashé, ou bien,
- j’ai effacé (vous repassez par la case départ) les données qui prenaient beaucoup de place sur mon ordinateur, puisque l’article était publié.
Que pourrais-je répondre à ce collègue tout en gardant un semblant de dignité ? Non reproductibilité : 1 / Tranquillité d’esprit : 0
3.2 Mes résultats ont changé !
Il y a quelques mois, j’ai soumis un article au journal. Depuis, j’ai continué de travailler sur mon code de traitement des données. Un reviewer me demande de compléter quelques figures, ce qui nécessite pour moi de faire de nouveau l’analyse des données. Malheureusement, la version actuelle du code, dans laquelle j’ai amélioré les algorithmes, ne donne plus tout à fait les mêmes résultats que ceux de l’article.
Dois-je annoncer au reviewer qu’une partie des résultats a changé ?
3.3 Mon code ne marche plus !
Ayant réussi à décrocher une ANR, je m’offre un nouvel ordinateur, avec la version la plus récente du système et des logiciels. Pour profiter au mieux des performances de cette machine, je recompile avec enthousiasme mon code de simulation : ma simulation prendra dix fois moins de temps qu’avec ma précédente machine, me dis-je. Mon excitation retombe subitement en voyant que :
- le compilateur génère des erreurs, ou bien
- le code recompilé démarre et se plante après quelques secondes.
Ma première idée (un peu la mort dans l’âme) est de récupérer mon vieil ordinateur, mais l’informaticienne du labo l’a déjà reformaté pour le passer à un stagiaire. Et là je me dis : “Mais pourquoi moi ?”
3.4 Mon nouveau doctorant n’observe pas les mêmes effets que son prédécesseur !
L’an passé, un de mes doctorants a soutenu brillamment sa thèse après avoir obtenu des résultats remarquables, que nous avons publiés dans un excellent journal. Il a trouvé un post-doctorat à l’étranger sur un sujet sensiblement différent pour élargir le spectre de ses compétences. Mon nouveau doctorant doit repartir de ces résultats pour améliorer l’efficacité de notre processus. Cela fait maintenant un an qu’il échoue à reproduire les observations de son prédécesseur, alors qu’il suit scrupuleusement (et j’ai vérifié) le protocole établi. Dois-je mettre fin à sa thèse pour incompétence, le lancer sur un autre sujet et abandonner cet axe de recherche, ou envisager de rétracter l’article de son prédécesseur car tout d’un coup pris d’un certain doute ?
3.5 Mais fallait-il vraiment écrire toute cette tartine ?
Pour mon stage de M2, je souhaite montrer un lien entre la délétion d’un gène chez la souris et la survenue de problèmes neurolocomoteurs. J’ai vu de nombreux articles évaluer la présence de ces problèmes chez la souris, mais aucun ne m’a particulièrement attiré. En revanche, toute cette revue de la littérature m’a donné une super idée pour une telle évaluation comportementale, reposant sur un protocole d’observations certes complexe mais que je jugeais génial. Je n’ai pas voulu perdre de temps (nous ne pouvions bénéficier de ce lot de souris que pendant un mois). J’ai obtenu d’excellents résultats et les ai présentés en réunion d’équipe, tout excité à l’idée de rédiger mon premier article que j’allais soumettre dans une excellente revue. Après ma présentation, mon chef d’équipe m’a demandé de lui montrer le descriptif rédigé de mon protocole si “génial”. Je lui ai répondu que je n’avais pas voulu prendre le temps de rédiger quelque chose qui était dans ma tête : quel intérêt d’écrire toute cette tartine pour soi, quand tout est si clair dans sa tête ? Il m’a répondu “Ok, donc tu peux oublier ton premier papier sur tes souris”.